Robert Baca Oviedo
Cartografía de lo invisible rend visible des zones de tension en redessinant Arequipa – ville natale du poète péruvien Robert Baca Oviedo (*1986) – depuis l’Europe et surtout la France. Cette distance géographique entre l’écrivain et l’objet de son écriture le conduit à charger l’exercice cartographique d’une mémoire à plusieurs facettes. Cette mémoire, c’est celle des femmes victimes de la campagne de stérilisation forcée entre 1996 et 2000, pendant les années Fujimori, celle des victimes de la tragédie du pont Grau à Arequipa, où trente personnes trouvèrent la mort dans la nuit du 14 au 15 août 1996 suite à un accident pyrotechnique, celle des victimes de l’accident du vol 251 de la compagnie Faucett, toujours en 1996. Les drames qui ont eu lieu ailleurs parviennent jusqu’à la ville blanche, retransmis par la télévision puis sur Internet; ils s’introduisent dans les foyers, marquent les esprits. Robert Baca Oviedo a huit ans quand Mónica Santa María, présentatrice phare du programme pour enfants Nubeluz, se suicide; il prend alors conscience de la mort et, plus tard, lui dédie un poème. Il en écrit aussi sur l’attentat du Wall Trade Center, la guerre en Irak, ou la nuit du Bataclan [voir poème au bas de l’entretien], engage une réflexion sur l’urgence écologique et climatique. Adressés à sa mère, à son grand-père José Manuel, à Mónica Santa María ou à Atahualpa, ses écrits vont et viennent entre l’intime et le collectif, pour constituer une mémoire à la fois personnelle, nationale et globale.
L’une de ses interlocutrices poétiques, présente tout au long du recueil, est là dès la couverture. Elle est tantôt Marianne (tel quel, en français), tantôt Madame, mettant par ricochet l’accent sur l’échec de la construction d’une nation péruvienne égalitaire, libertaire et fraternitaire, deux cents ans après l’indépendance du Pérou.
Plusieurs temporalités, lieux et cultures se croisent, cohabitent et se superposent. Arequipa se transforme en point de départ pour donner voix – pour cartographier – des conflits aussi bien locaux que globaux : le recueil dénoue ainsi les connexions invisibles mentionnées dans l’épigraphe de César Calvo qui ouvre le livre : « ¿No ves que no existe la casualidad? Todo, siempre, ha de esconder su relación con todo. Solo hay que merecer para poder descubrir el nexo oculto, los resortes oscuros, el hilván invisible de las cosas y de los hechos y de las personas ». [« Tu ne vois pas que le hasard n’existe pas ? Tout, toujours, cache sa relation avec tout. Il faut seulement le mériter afin de pouvoir découvrir le lien caché, les ressorts obscurs, le point de bâti invisible des choses et des faits et des personnes »]