Marie Darrieussecq
« Je carbure aux barbituriques depuis près de trente ans. Je savoure les soporifiques, je biberonne aux benzodiazépines, je végète aux sédatifs, je narcose aux hypnotiques. »
Vingt ans que Marie Darrieussecq ne dort plus : depuis la naissance de son premier enfant. 3h33, 04h04, 4h44… l’heure fatidique, celle du réveil, inconditionnel. Marie Darrieussecq a tout essayé: l’acupuncture, la psychanalyse, le yoga, l’ostéopathie crânienne, le jeûne, la méditation, l’hypnose, la boîte Morphée, le Champs de fleurs, les métaphores. Et elle a encore essayé de ralentir, de s’organiser des rituels… lire des livres (et les relire), prendre des médicaments, du vin, de la tisane, d’autres substances. Elle s’est même acheté une chienne, qui l’oblige à se promener trois fois par jour. Rien à faire.
Pas dormir, c’est errer sans ombre, écrit-elle. Heureusement, il y a la littérature, assez abondante pour remplir ses insomnies jusqu’à la fin de sa vie. Or, quand elle « ouvre les livres […] tous [lui] parlent d’insomnie. Woolf ! Gide ! Pavese ! Plath ! Sontag ! Kafka ! Dostoïevski ! Darwich ! Murakami ! Césaire ! Borges ! U Tam’si ! Et tant d’autres champions de la fatigue. Sur tous les continents, la littérature ne parle que de ça. Comme si écrire c’était ne pas dormir. Comme si la littérature était l’anagramme d’un lit raturé, d’un lit atterré, d’une lecture ratée au lit… ».
Effectivement, Marie Darrieussecq démontre dans le premier chapitre – qui par les références s’étend néanmoins aux autres – que les écrivains ont un problème de sommeil. Ces heures, où le piètre monde dort – « L’ultime refuge de l’insomniaque est de se penser supérieur à ceux qui dorment », dixit Leonard Cohen – se transforment alors en heures de travail, également pour Marie Darrieussecq qui, bien qu’elle essaye de faire des exercices de relaxation pour se rendormir avec « la boîte Morphée », commercialisé à 79€, a « le sentiment de vivre une expérience pour le livre que j’écris [qui] m’empêche de dormir, déjà j’écris mentalement ce paragraphe, je suis au bord de me lever pour prendre des notes ».
Marie Darrieussecq ne dort pas parce que ça fait vingt ans qu’elle essaye de terminer cet essai autobiographique. C’est une hypothèse. Une autre hypothèse est que « l’insomnie se nourrit de la peur de ne pas dormir; la certitude de l’épuisement épuisé; le cauchemar de la journée à vivre assombrit la nuit qui ne finira que sur le cauchemar de la journée à vivre… Tous ces loopings, oui, tous ces grands huit se dévalent jusqu’au vertige, jusqu’au non-sens ». Ou est-ce à cause du capitalisme, de l’hyperconnexion qui nous relie à tout, tout le temps, nous privant de la solitude nécessaire pour dormir, comme le remarquait déjà Stefan Zweig dans Le Monde sans sommeil, un livre qui réunit des essais et conférences d’entre 1909 et 1941? Ou peut-être parce qu’il y a trop de personnes qui souffrent, trop de guerres, de famines, de pauvreté? Parce que nous, les Hommes, détruisons les forêts, tuons les animaux, et mettons de plus en plus à mort la terre?