Milton Hatoum

Le 31 mai 2022, nous avons reçu le romancier brésilien Milton Hatoum pour parler de son dernier roman, La nuit de l’attente.


Vin : Les crayes Julien Guillot

Présentation Milton

Né en 1952 à Manaus en Amazonie, Milton Hatoum a eu un parcours multiple et itinérant. Après avoir passé une partie de sa jeunesse à Brasilia dans les années 60, il migre vers Sao Paulo, où il suit la formation d’architecture et urbanisme à l’Universidade de Sao Paulo et où son activité dans le journalisme culturel commence. Dans les années 80 il va séjourner en Espagne avant de débarquer à Paris pour une nouvelle étape d’études, cette fois-ci en littérature comparée. De retour à Manaus en 1984, il enseigne la littérature française à l’Université Federal do Amazonas (et cela pendant 15 ans), mais aussi à l’Université de Berkeley (Californie). En 1989 il publie son premier roman, Récit d’un certain Orient (Seuil, 1993), pour lequel il obtient le premier et prestigieux prix Jabuti de sa carrière. D’autres prix et romans suivront: Deux Frères, 2000 (Seuil 2003), lui aussi prix Jabuti, et adapté à la télévision et en bande dessinée; Cendres d’Amazonie, 2005, (Actes Sud, 2008) - prix de l’Association Pauliste de Critiques d’Art et prix Portugal Telecom de Littérature et troisième prix Jabuti. En 2015, son 4ème roman, Orphelins de l’Eldorado (actes Sud, 2010), sera adapté au cinéma par Guilherme Cezar Coelho. Milton Hatoum est actuellement impliqué dans l’écriture de la trilogie Le lieu le plus sombre, dont le premier roman, La nuit de l’attente (2017), publié l’année dernière chez Actes Sud sera objet de discussion ce soir. Si l’Amazonie et les origines libanaises de Milton se fusionnent et constituent souvent le fond de toile de ses livres, cette fois-ci c’est la ville de Brasilia et le contexte dictatorial des années 60, 70 au Brésil qui vont composer le scénario de la trame romanesque. 

Traduit en plusieurs langues et avec plus de 200 mil exemplaires vendus, Milton est indéniablement l’un de grands noms de la littérature brésilienne contemporaine. Parmi ses autres activités littéraires, on pourrait mentionner encore ses traductions de Flaubert, Georges Sand et Edward Said et aussi ses chroniques qu’il publie régulièrement dans le journal O Estado de São Paulo

Présentation Roman

“Aie l'œil sur les dangers et les menaces que les autres constituent. Je ne parle pas que des conducteurs. À tout moment, quelqu’un peut nous trahir, nous maltraiter, nous humilier. C’est ce qui m’est arrivé avec ta mère. Je ne veux pas qu’il t’arrive la même chose” (p. 31), conseille le père à son fils Martim, adolescent de 16 ans, quand ils arrivent à Brasília en janvier 1968, après son divorce avec Lina. Au lieu néanmoins de se rapprocher après cette “trahison” – Lina est tombée amoureuse de quelqu'un d’autre, elle ne supportait plus vivre avec le père de Martim, un homme froid, dur et silencieux –, père et fils vont se distancier de plus en plus : d’une certaine manière, le père incarne, à une échelle familiale, les années de plomb de la dictature, l’oppression, le mal être constant, la peur, la méfiance. 

À Brasilia, Martim, jeune homme timide, songeur et naïf, se lie rapidement d’amitié d’un groupe de théâtre amateur dont les membres, tous des jeunes étudiants comme lui, décident de publier une revue littéraire et artistique, Tribo. On assiste alors à ses années de formation et d’émancipation, aussi bien au niveau artistique, qu’amoureux, économique et politique : d’ailleurs, quelques-uns de ses amis commencent à être politiquement de plus en plus actif – dont sa petite amie, Dinah –. Néanmoins, Martim suit le mouvement de loin, arrive parfois trop tard ou jamais aux réunions et manifestations à cause de ses rêveries : il passe par exemple sa première nuit au poste de police non pas parce qu’il a participé à une manifestation, comme ses amis qu’il retrouve par hasard dans la même cellule, mais parce qu’il s’est endormi dans sa barque en ramant sur le lac, songeant à Lina et aux filles de la bande. Bien qu’il écrive de la poésie et qu’il en traduise, ses textes ne sont pas non plus politiques et il ne critique jamais ouvertement la dictature. Pourtant, il a peur, et différents personnages l’avertissent tout au long du roman qu’il doit quitter Brasília. 

La nuit de l’attente est le premier tome de la trilogie Le lieu le plus sombre et se compose d’entrées de journal intime de Martim entre 1968 à Brasília et 1979 à Paris, ainsi que d’extraits de lettres échangées avec Lina. Si bien Milton Hatoum avait pour coutume choisir comme décor pour ses romans son Amazonas natal, il fait ici le portrait littéraire de la capitale brésilienne, centre planifié et non pas organique. Le récit met en scène le milieu universitaire, les réunions clandestines et le rôle important de la censure, le tout submergé par et dans l’atmosphère incertaine et dangereuse de l’époque. La nuit est ici un espace majeur, elle est complice des disparitions qu’elle abrite dans son sein. Dans son obscurité, les personnages disparaissent, les voix se taisent, le discours se vide, la terreur interminable s’installe.

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